Concept d’amortissement des chaussures de sport

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Tous les ans, les fabricants de chaussures de sport rivalisent d’ingéniosité pour présenter aux sportifs des modèles plus « performants ».

Parmi ces progrès, certaines marques de chaussures de sport insistent sur le concept d’amortissement. Si le confort apporté est indéniable, tout médecin du sport devrait se poser des questions sur le rôle et les conséquences cliniques imputables au concept d’amortissement. Le but des quelques lignes qui suivent est de poser les bonnes questions et apporter quelques réponses en 10 points essentiels.

1 – Qu’est-ce qu’un dispositif amortisseur ?

En physique, un matériau est dit amortisseur s’il réduit l’amplitude des oscillations engendrées lors d’un choc brutal. Les amortisseurs d’une automobile évitent les oscillations provoquées par les défauts de la chaussée. Dans le sport, la réception d’un saut ou d’un pas de marche ou de course génère une onde de choc qui se propage jusqu’à l’occiput grâce au squelette et qui pour certains biomécaniciens doit être amortie.

2- Matériaux amortisseurs

Il existe deux types de matériaux amortisseurs : élastique, qui se déforme lors d’un l’impact mais conserve une énergie de tension élastique qu’il restitue plus ou moins rapidement, et amortisseur proprement dit qui se déforme peu et transforme une partie de l’énergie sous forme de chaleur.
Il existe des amortisseurs naturels, utilisés depuis l’antiquité notamment pour la roue (bois, cuir, feutre, liège, caoutchouc) et des produits synthétiques dérivés de la pétrochimie :
– polyuréthannes PU : Sorbothane? ((British Technology Group), Podiane?, plutôt amortisseur vrai
– EVA (acétate d’éthylène vinylique), plutôt élastique (Brooks ?, 1974)
– mélanges : tomilite, phylon
– « Air » (gaz dans PU, Tailwind de Nike ?, 1979).

Le matériau de référence reste le caoutchouc naturel, importé en Europe dès 1736. Grâce à la découverte de sa vulcanisation par Charles Goodyear en 1839, des semelles ont pu être fabriquées.

3 – Connaît-on les effets de l’onde de choc ?

Le contact du talon au sol impose une décélération brutale qui génère l’onde choc. L’accélération (g) au moment de l’impact peut être calculée par la relation f = mg. Cependant, la masse apparente du corps (m) est rendue variable par un système de ressorts et d’amortisseurs naturels que nous évoquerons.

En 1977, paraît la première étude des ondes de choc transmises au squelette lors de l’impact du talon. Puis, des accéléromètres miniaturisés ont pu être utilisés chez des coureurs pour mesurer l’accélération de cette onde de choc, notamment sur le tibia, le rachis et le crâne. Importante chez un coureur pied nu, elle diminue sur un sol sportif et surtout lors du port de certaines chaussures. Sa vitesse approche les 120 km/h dans le tibia, ce qui correspond à un tremblement de terre de 4 sur l’échelle de Richter. Cette onde de choc diminue progressivement d’intensité ; pour une valeur de 5 g au tibia elle passe à 0.5 g au niveau du crâne. Bien sur, son intensité est négligeable par rapport à l’onde de choc produite à proximité d’un engin explosif.

  • a) L’onde de choc subit par le pied à la course est-elle nuisible ?

  • Pratiquement, aucune preuve scientifique ne confirme le lien entre une pathologie et l’onde de choc générée à la course chez l’homme. La première étude longtemps utilisée comme argument probant par les chausseurs, date de 1982 (Radin) et a révélé des lésions cartilagineuses du genou chez des moutons que l’on a obligé à marcher pendant plusieurs jours sur du macadam au lieu du pâturage habituel.
  • b) Le rôle indispensable de l’onde de choc est démontré.

  • La recherche spatiale sur l’apesanteur comme l’étude de l’ostéoporose ont prouvé le rôle primordial de l’onde de choc dans la minéralisation et la résistance de notre squelette.
  • c) Connaît-on les seuils de nocivité ?

  • L’affirmation de certains fabricants de chaussures sur l’insuffisance de notre capiton plantaire pour la course de longue distance, surtout sur des sols artificiels et durs comme le macadam, l’asphalte ou le bitume, reste gratuite. L’absence d’onde de choc fragilise nos os, une onde de choc très intense détruit nos tissus, mais les seuils restent à préciser.

4 – Existe-t-il dans notre corps des dispositifs physiologiques de lutte contre l’onde de choc ?

Notre corps est pourvu de différents systèmes d’amortissement naturels.

  • a) le capiton plantaire, principal amortisseur, en première ligne, formé d’adipocytes, de fibres musculaires et d’un riche réseau veineux superficiel. Très efficace, il associe des propriétés d’élasticité et d’amortissement.
  • b) Les cartilages articulaires ont également des qualités amortissantes.
  • c) L’architecture morphostatique de nos membres inférieurs. Elle assure la suspension et l’amortissement, complétée par les vertus irremplaçables de la dynamique. A la course, le pied se déroule du bord latéral de son talon vers les orteils et pivote dans le sens transversal. Il passe par trois phases principales dans le plan frontal : pose du talon sur sa partie latérale (supination), bascule sur le bord médial (pronation) puis nouvelle supination.
  • d) La prono-supination dépend essentiellement des articulations subtalienne et médiotarsienne ainsi que de la mobilité tibio-fibulaire. C’est un mouvement physiologique indispensable à la bipédie. Il a une triple fonction : compenser les éventuels troubles statiques du membre inférieur en répartissant le poids du corps sur une surface d’appui maximale à chaque instant (« suspension »), agir comme un ressort (« récupération d’énergie »), stabiliser la structure ostéo-articulaire et amortir (passage d’une structure souple à une structure rigide). Seule une minorité de coureurs, qui ne court qu’en appui sur l’avant-pied, échappe à la prono-supination de stabilisation de l’arrière-pied.

5 – Relation entre onde de choc, pression plantaire et amortisseur

Le discours volontairement ambigu des services de marketing des chausseurs essaye, malheureusement parfois avec succès, de faire un amalgame entre des notions physiques différentes. L’onde choc est qualifiée d’énergie « négative » et les argumentaires de vente utilisent souvent les courbes de force qui révèlent que le pied du coureur supporte 2 à 3 fois le poids du corps à chaque pas. Une bonne réflexion scientifique relativise l’impact de ces courbes d’enregistrement de la force dans le temps, au cours du déroulement du pied au sol.

  • a) La masse corporelle, l’attraction et la rotation terrestre déterminent sur le pied des forces dont la résultante plantaire peut être mesurée grâce à un plateau de force. Elle varie en fonction de la foulée, de la vitesse, du terrain et des chaussures.
  • b) Cette force verticale s’applique sur une surface plantaire déterminée qui génère une pression (P = F / S), véritable responsable des lésions de surcharge (pression x temps d’appui). Il suffit de faire courir sur un podographe pour constater qu’il n’existe pas de surcharge de pression sous talonnière. Parler de « pose » du talon semble plus juste que le terme de « pic d’attaque ».
  • c) De plus, dès 1987, il a été démontré (Got) qu’une chaussure amortissante diminuait légèrement le pic de force lors de la pose du talon mais augmentait de 20% la force sous métatarsienne (la plus importante subie par le pied) et prolongeait la pose du pied au sol de 20%. Ces 2 facteurs tendent à augmenter les pressions plantaires, sources principales de pathologies microtraumatiques des membres inférieurs du coureur.

6 – Conséquences physiologiques des semelles amortissantes

Courir sur des semelles amortissantes a des répercussions importantes sur notre corps. N’oublions pas que le meilleur amortisseur reste le sable (utilisation ancienne et fréquente dans des sacs pour se protéger d’armes à feu) et chacun connaît la difficulté de courir sur la plage. Voici quelques effets physiologiques dus à la semelle amortissante :

  • ralentissement de la pose du pied au sol
  • ralentissement des calculs de l’unité centrale cérébrale (retard de la flexion du genou)
  • augmentation de la force d’appui plantaire
  • allongement le temps de contact pied/sol
  • déperdition d’énergie à chaque pas
  • augmentation le travail musculaire pour compenser la perte d’énergie pour un effort identique sans semelle amortissante
  • instabilité à la pose du pied au sol, d’autant plus forte que le matériau est élastique (matériau mou ou gazeux).

A long terme, l’utilisation quotidienne d’une semelle plus amortissante que notre capiton plantaire a d’autres effets pervers :

  • fragilisation osseuse par absorption de l’onde de choc
  • accoutumance puis dépendance du capiton (véritable addiction podale); son rôle devenant mineur, il s’adapte en devenant mou et en s’atrophiant progressivement. Les jeunes habitués au port de chaussures de sport trouvent inconfortables les chaussures à semelle de cuir car ils ressentent toutes les aspérités du sol, leur capiton devenant déficient.

Une étude in vitro sur 5 jambes récemment amputées (Noe), a montré que le capiton sain sous calcanéen atténue de 80% le pic de l’onde de choc. Certains matériaux amortisseurs, comme le Sorbothane 50?, absorbent jusqu’à 95% cette onde de choc. Or, l’association de Sorbothane à un capiton sain absorbe 98% de l’onde choc soit un gain relatif de 18% par rapport au pied nu. De plus, l’efficacité dépend de la compliance du système pied/amortisseur. C’est-à-dire, que plus utilise de semelle amortissante performante, plus le gain par rapport au pied nu s’atténue. Un gain d’amortissement de moins de 20% de l’onde de choc justifie t-il le risque physiopathologique ?

7 – Conséquences cliniques des semelles amortissantes

Un bilan clinique objectif met en évidence la supériorité des inconvénients de ces semelles face à leurs avantages. Le ralentissement de la pose du pied au sol et le contact plus doux procurent une sensation de confort incontestable. En revanche, le confort se paye au prix fort sur les plans physiopathologique et clinique.

  • Le ralentissement de la pose du pied au sol retarde la flexion du genou et explique de nombreuses lésions cartilagineuses et méniscales.
  • La déperdition d’énergie, sous forme de chaleur pour les amortisseurs proprement dits et sous forme de restitution retardée pour les amortisseurs élastiques, nécessite un surcroît d’effort musculaire, donc un risque de surmenage des tendons et des enthèses.
  • Le contact pied/sol plus doux déclenche ou aggrave l’instabilité. Les tendons extrinsèques ont un travail supplémentaire de stabilisation jusqu’à l’appui du pied sur un sol dur.

Chez de nombreux coureurs, le port de semelles amortissantes favorisent l’hyperpronation dont l’action péjorative podale n’est plus à démontrer : tendinopathies et enthésopathies (surtout du tibial postérieur), fractures de fatigue, bursopathies, aponévropathies, etc. La chaussure accentue les mouvements de prono-supination ou plutôt d’inversion-éversion, en amplitude ou en vitesse. En d’autres termes, le pied chaussé devient moins stable que le pied nu.

8 – Dispositifs de compensation des inconvénients liés à l’amortissement

Depuis plus d’un demi-siècle, les chausseurs ont compris et lutté contre le rôle délétère de l’hyperpronation. Les semelles amortissantes ont remis ce problème au premier rang des préoccupations des fabricants concernés car elles amplifient l’angle de pronation et la vitesse de passage de la supination (pose du talon en varus) à la pronation (passage en appui plantigrade) Depuis quelques années des innovations apparaissent régulièrement sur le marché dont le but inavoué est de limiter les effets pervers des semelles amortissantes :

  • Contrefort rigide, pour stabiliser le calcaneus
  • Talonnette bidensité plus ferme en médial
  • Heel cleft, fente dans la semelle talonnière pour ralentir le passage de la supination à la pronation du talon
  • Footbridge, dispositif plantaire et médial pour rigidifier la tige lors de la pronation
  • Footframe, sorte de contrefort à minima
  • DMX, transfert de pression
  • Amortisseur en nid d’abeille, Trinomic, imitant le capiton plantaire
  • Air bag tubulaire à pression différente, imitant les talonnette bidensité.

9 – Quand et comment amortir ?

La semelle amortissante reste utile dans un but thérapeutique au cours du traitement d’une blessure (fracture de fatigue, enthésopathie, tendinopathie) et de la reprise progressive du sport. En revanche, il faut plutôt déconseiller le port de semelles amortissantes en cas d’instabilité voire d’hyperlaxité et chez le coureur hyperpronateur.
Le médecin du sport doit informer tout sportif sur les avantages et les inconvénients des amortisseurs.

  •  Il peut être largement utilisé chez les amateurs ou les sportifs occasionnels qui recherche du confort et qui ne porte des chaussures amortissantes que lors de l’activité.
  • Le sportif de haut niveau ou professionnel doit savoir qu’amortir diminue ses performances et augmente le risque de blessure. Les semelles amortissantes peuvent être utilisées en entraînement, en conservant au moins 20% de l’activité sans amortisseur pour préserver les propriétés naturelles du capiton, indispensables lors des compétitions.

10 – Conclusion

Si l’amortissement améliore le confort, il joue un rôle dans la physiopathologie de nombreuses blessures du sportif, par instabilité et hyperpronation de l’arrière pied. Il est difficile de concilier confort et performance, hypersollicitation tendineuse et prévention de lésions. Le médecin du sport doit analyser toutes les données publiées d’un point de vue scientifique et ne pas se laisser abuser par l’ambiguïté des termes utilisés par les services de marketing des chausseurs.

 

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