Les Dépenses Energétiques
Mémoire du Dr Benjamin TAISNE, dans le cadre du D.I.U. de Nutrition
La dépense énergétique (DE) liée à l’exercice musculaire constitue la composante la plus variable de la DE totale.
Elle dépend du mode de vie, de l’activité professionnelle et surtout des activités physiques et sportives (APS). La DE moyenne de la population a évolué vers une réduction progressive au cours du 20ème siècle en raison de la mécanisation, avec une réaugmentation récente, de fait modeste, due au développement des APS ; elle ne concerne que quelques groupes restreints de sportifs, le nombre de bûcherons, de mineurs et d’autres travailleurs de force comme celui des militaires en manœuvres, tendant encore à diminuer en France.
La DE est extrêmement variable et peut représenter de quelques pour cents jusqu’à 60-75% de la DE totale (DET) pour quelques sportifs professionnels (triathlètes, cyclistes) d’où une échelle des DE allant d’environ 2000 à 9000 kcal/j et plus.
1) Dépense énergétique et travail mécanique
La dépense énergétique peut-être envisagée en tant que DE totale ou sous forme d’un coût énergétique (CE), d’une production d’énergie ou d’un travail mécanique (W).
Le CE correspond à la partie de DE due spécifiquement à l’activité concernée. Elle est souvent calculée à partir de la DET moins la DE de repos. DE ou CE et W sont liées par le rendement de l’exercice (R) :
R brut = W/DE x 100
R net = W/ CE (ou DET-DErepos) x100
R est au mieux de 25% et donc ,au plus, le ¼ de l’énergie chimique des substrats énergétiques se retrouve sous forme de travail mécanique, le reste étant transformé en chaleur qui devra être dissipée. R est nettement différent d’une activité sportive, physique ou de travail manuel à l’autre, mais peut aussi varier considérablement d’une personne, débutante, à l’autre, très entraînée.
2) Méthodes de mesure de la dépense et du coût énergétique
Il s’agit de la mesure de la dépense liée à l’activité, au-dessus de celle de repos chez le sportif.
Devant la grande variabilité de la DE, d’un sport, mais aussi d’un pratiquant, à l’autre, il faut évaluer pour chacun sa DE réelle pour pouvoir définir ses besoins et obtenir un équilibre satisfaisant avec ses apports énergétiques, au risque sinon de prise ou de perte de poids.
2.1 Méthode de calorimétrie directe.
Cette méthode de référence est réservée au domaine de la recherche ; une chambre calorimétrique est un dispositif encombrant, onéreux, difficile à mettre en œuvre, obligeant à reconstituer sur place les postes d’exercices ou de travail.
2.2 Méthodes de calorimétrie indirecte.
2.2.1 Calorimétrie ou thermochimie alimentaire.
A partir d’un bilan alimentaire très précis, le poids de chacun des macronutriments ingérés est calculé et il lui est appliqué le coefficient thermique correspondant. Cette méthode implique que poids et composition corporelles sont constants. Simple d’apparence, mais long et délicat d’application, le remplissage des semainiers rebute beaucoup de sportifs avec de fréquentes sous-estimations, pouvant aller jusqu’à 30%. Ce ne peut être une méthode fiable pour évaluer les dépenses énergétiques, mais plutôt pour évaluer les apports énergétiques du fait du fort décalage entre dépenses et apports dans certaines spécialités sportives.
2.2.2 Calorimétrie indirecte ventilatoire.
Elle est la mesure la plus utilisée grâce aux appareils de télémétrie pour la mesure du VO2 au cours de la plupart des APS. L’avantage est l’évaluation en continu de la dépense de chaque activité, avec à partir du quotient respiratoire le type de substrat utilisé. Les inconvénients sont le coût du matériel et de sa maintenance, son encombrement, sa fragilité ainsi que les exigences de compétence de l’examinateur.
Or il existe une relation très significative entre fréquence cardiaque (FC) et VO2, spécifique de chacun. Après étalonnage en laboratoire de la relation entre la FC, la VO2 et la puissance d’exercice, il est possible, à partir de la FC enregistrée a l’aide de cardio-fréquencemètres, légers et de faible coût, portés par des sujets en situation, d’extrapoler au VO2, puis à l’aide du coefficient thermique de l’O2, à la dépense énergétique.
Mais cette relation peut nettement différer sous l’effet de nombreux facteurs, types d’activités, posture du sujet, stockage thermique avec augmentation du débit sanguin cutané, émotivité, et ingestion d’aliments, de produits ergonomiques ou de certains médicaments (?-bloquants, caféine).
Les actomètres enregistrent les mouvements du corps, mais pas tous les gestes. Les podomètres enregistrent le nombre de pas lors de la marche et la course, activités les plus fréquentes, mais seulement celles-ci. Pour les transformer en distance parcourue et en DE, il faut étalonner la longueur moyenne du pas.
2.2.3 Méthode à l’eau doublement marquée.
Elle montre des DE en moyenne supérieures de 15% à celles évaluées par les apports alimentaires et de 30% à celles calculées à partir de questionnaires d’APS.
2.2.4 Méthode des questionnaires d’activité physique.
Cette méthode consiste à noter tout au long de la journée sur une grille d’activité les différentes activités pratiquées, en étant aussi précis que possible sur leur intensité et sur leur début et fin, puis à utiliser une des tables d’activités domestique, de travail ou sportives.
La plupart de ses questionnaires ont pour vocation d’être administrés dans le cadre d’études épidémiologiques, pour répondre à des objectifs spécifiques de santé publique pour des populations représentatives, donc suffisamment nombreuses, d’où des informations souvent succinctes et imprécises (10 à 30%). Cela diffère de la démarche de prise en charge individuelle dans un but d’équilibre aussi précis que possible entre les dépenses et les apports énergétiques.
3) Exemples pratiques de dépense énergétique et de coût énergétique
Si les APS peuvent multiplier le métabolisme de repos jusqu’à 3 à 5 fois, les activités de loisir ne constituent cependant qu’un faible surcroît de DE chez la plupart des pratiquants. Ainsi pour 4 heures de sport, même intense, par semaine, le niveau d’activité physique (NAP) moyen ne va augmenter que de 0.1 point.
De plus, en dehors de la période d’activité physique, il existe souvent une tendance spontanée à la diminution globale d’activité physique. Les recommandations d’activité physique à tout moment (marche au lieu de transport en commun, descendre une station avant, monter par l’escalier au lieu de prendre l’ascenseur…) prennent là toute leur valeur.
L’amplitude importante de l’échelle des DE est bien démontrée dans le tableau 2 : les DE pour les activités de faibles intensités sont très proches de celles des sujets sédentaires et très éloignées de celles des sportifs d’activités très intenses. Si les puissances peuvent différer dans un rapport de 1 à 3 entre pratiques de loisirs et sport professionnel, les DE (puissance?durée) le font dans un rapport de 1 à 10 et plus, avec des DE de 6500kcal/j parfois maintenus sur plusieurs mois ( cyclistes).
Tableau : Exemples de valeurs de dépense énergétique totale | |
---|---|
Activité physique ou sportive de loisir | Dépense énergétique (puissance) |
Football – rugby – handball – aviron – tennis – course à pied – cross country – ski de fond – squash – natation de compétition – marche athlétique – cyclisme | 500 W et plus (H) 450 W et plus (F) |
Cyclotourisme – footing – natation amateur – patinage – ski – boxes – escrime – waterpolo – basket – tennis de table – volley ball – marche rapide – canoë-kayak – judo – karaté | 350 à 500 W (H) 250 à 450 W (F) |
Golf – boules – équitation de loisir – jardinage – tirs – ping pong – voile – randonnée pédestre | 175 à 350 W (H) 140 à 180 W (F) |
Sédentaire | 175 W (H) 140 W (F) |
Les dépenses énergétiques sont généralement fournies pour des sportifs adultes bien entraînés, au rendement gestuel élevé. C’est pourquoi celles des débutants, exprimées par unité de distance parcourue, sont jusqu’à 20% supérieures.
Ce facteur réel d’économie permet, pour une même dépense d’énergie, d’aller plus loin, ou à un débit d’énergie métabolique (puissance) identique, d’aller plus vite.
Du fait d’une masse adipeuse supérieure, les femmes ont un rendement énergétique moins élevé que les hommes, à part pour la natation ; la DE par kg de poids corporel transporté est généralement supérieure, mais leur poids étant souvent inférieur, le CE total est finalement moindre pour une même distance parcourue.
Chez l’enfant et l’adolescent, le rendement est moindre que chez l’adulte.
De même, chez les personnes seniors voire âgées, le rendement est moindre en raison de la diminution de la coordination motrice, de la souplesse et du VO2max, d’où une puissance relative d’exercice supérieure et une atteinte de la zone transitionnelle, et donc l’épuisement, plus précoce
# Coût énergétique d’exercice et environnement.
La température ambiante a une influence réduite sur le CE du travail, mais importante sur le confort, les performances et les risques pour la santé du fait de la déshydratation. Le CE du pédalage sur ergocycle augmente de 4% à –5°c ou 32°c, par rapport à 20°c, neutralité thermique.
Le vent, de face, s’accompagne d’une augmentation du CE qui peut, pour un marcheur, doubler à 50km/h.
En altitude, la DE augmente, par exemple de 6% (160kcal/j) au repos à 4300 mètres d’altitude chez la femme. A l’exercice, le CE dépend beaucoup du type de terrain et l’épuisement est plus précoce proportionnel à la diminution de VO2max.
4) Conclusion
Pour la stabilité du poids corporel, dépenses ( besoins physiologiques) et apports énergétiques (alimentaires) doivent s’équilibrer.
Qu’en est-il- au juste, sachant qu’au cours de la saison sportive, le poids du sportif va souvent évoluer entre une prise à l’intersaison et un poids minimal de forme, correspondant à la meilleure performance (course à pied, cyclisme…), au maintien dans une catégorie de poids (judo, boxe…) ou à un objectif esthétique (culturisme) ?
La gestion du poids corporel est un élément important dans l’hygiène de vie de beaucoup de sportifs, avec souvent une difficulté à limiter la prise de poids à l’intersaison (ne pas tolérer plus de 3 à 5 kg), vérifiée en se pesant (dans les mêmes conditions) toute l’année une fois par semaine.
La confrontation entre les consommations et les comportements alimentaires des sportifs et le coût énergétique de leurs activités permet de dégager des enseignements sur les contraintes physiques et psychiques auxquelles ils sont soumis et donc sur le risque de désordres alimentaires, en vue d’une prise en charge adaptée. Celle-ci relève des pouvoirs publics et des fédérations, en vue de mettre en place des politiques de protection de la santé, et des médecin et des diététiciens, chargés de les appliquer. Il faut attirer l’attention des sportifs sur l’importance de leur alimentation et de leur hygiène.
Or, les enquêtes de consommation alimentaire chez les sportifs montrent une très grande dispersion des apports énergétiques, avec parfois de forts décalages avec les DE, parfois mal compensés par des supplémentations peu contrôlées et à risque de dopage.
D’un coté, faible masse adipeuse, troubles du comportement alimentaire, dysménorrhées et ostéoporose (triade de l’athlète femme) sont associées, de l’autre, augmentation de la masse adipeuse, surpoids, hypertriglycéridémie, hypercholestérolémie et hypertension artérielle sont fréquent, avec des facteurs de risques cardiovasculaires accrus.
A l’opposé, lors du tour de France cycliste, la DE moyenne est de 6000 à 6500 kcal/j et l’apport énergétique de 6300 kcal/j, donc à peine déficitaire et une perte de poids inférieure à 1kg en 3 semaines. A l’évidence, toutes les populations sportives ne bénéficient pas de la même façon de leurs pratiques pour leur santé, bien au contraire ( longévité moyenne du sumo : 43 ans…)
La connaissance par une évaluation, ou au mieux, par une mesure fiable et précise, de la DE d’un sportif, est un des éléments essentiels, avec la pesée régulière et des questionnaires de bilan alimentaire et de contenu d’entraînement ( et d’objectifs de compétition), pour proposer des conseils nutritionnels fondés.
© IRBMS - Droits de reproduction
► Recevoir notre Newsletter